Histoire
de la BAN Saint-Mandrier (1940-1944)
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Derniers
mois de 1939 - début 1940
La seconde guerre mondiale vient de commencer. Les
premiers événements se passent bien loin de Saint-Mandrier, mais, pour tous
les Français débute la "drôle de guerre". Les Allemands emportent succès sur
succès dans les pays du Nord. Les nouvelles alarmantes circulent. Les permissionnaires
sortent à terre en emportant leur masque à gaz. La guerre, cependant, ne touchera
pas le midi pendant quelque temps.
En mai 40, les feux sont masqués la nuit et le service très renforcé. La France
est envahie à son tour, et vient la débâcle. Le 10 juin 1940 à minuit, l'Italie
déclare la guerre à la Grande-Bretagne et à la France dont les frontières
ont été franchies par les forces adverses. Le lendemain, pour marquer cette
entrée en guerre, son aviation attaque Toulon. Elle trouve une DCA fournie,
en particulier, celle de l'escadre mouillée sur rade, et rentre, sans faire
de dégâts. Pendant les quelques alertes anti-italiennes, l'équipage de la
base va s'asseoir sur les ballasts du petit train dans le tunnel à torpilles.
En réponse, le 14, l'escadre de la Méditerranée bombarde Gênes. L'escorte
aérienne est assurée par les Loire 130 et des Latécoère 298
qui mèneront à bien une attaque de nuit sur le même objectif, et seront près
à parti au retour par des avions italiens qu'ils n'identifieront pas (l'entraînement
aux silhouettes était nul). Pas de dégâts.
L'avance allemande dans le nord de la France est rapide. Le 20 juin, ils sont
à Brest. Une convention d'Armistice est signée par la France le 22 juin avec
l'Allemagne, une autre le 24 juin avec l'Italie. Elles entrent en vigueur
le 25 juin. La veille, le journal d'opérations de la base mentionne de
nombreux envols vers Aspretto. La France est coupée en deux, la zone occupée
et la zone libre. Une nouvelle période va commencer.
25
Juin 1940- 27 novembre 1942
A partir de ce moment, la base voit beaucoup de départs et d'arrivées de personnel
: départ de nombreux mobilisés, arrivée de ceux qui refluent de la zone occupée.
La BAN Hourtin est là, mais faute de logements assez nombreux, ses hommes
sont répartis entre les bases de Berre, Cuers, Saint Raphaël, Hyères et Saint
Mandrier. La base les administre avec l'aide des services d'Hourtin. A Sète,
du personnel provenant de formations des régions envahies est provisoirement
cantonné au centre des ballons captifs. Saint-Mandrier devient aussi leur
base de rattachement.
On ouvre un "rôle des repliés" différent du "rôle d'équipage". A part les
escadrilles 351 et 355 qui viennent d'être dissoutes, Saint-Mandrier continu,
comme avant le début de la guerre, à assurer la gestion du personnel des ballons
captifs de Sète, de Marseille-le Frioul, de Toulon-Saint-Mandrier, et de l'Etat-major
de l'aéronautique navale en 3e région replié depuis le 16 mars 40 au Fort-Lamalgue.
Que faire, pour l'instant, du personnel de la base ? L'Armistice a
arrêté toute activité opérationnelle, tous les vols, coupé les communications
et les ravitaillements de toutes natures, l'alimentation en particulier. Les
cartes de rationnement sont mises en service : "le personnel de la base
doit être occupé. Chaque base constituera sous les ordres d'un officier, une
équipe d'entretien qui devra assurer l'entretien et l'amélioration du terrain,
les travaux de jardinage et, si possible, des travaux de culture et d'élevage
(12.7.40) ". Consigne sage : elle va servir dès les mois qui suivent.
Le 11 août 1940, le désarmement de la base est ordonné ; elle n'est
pas la seule dans ce cas. Le démantèlement de Saint-Mandrier, la dispersion
de son personnel, du matériel, sont exécutés. Un des hangars de la base se
remplit de voitures particulières (il n'y a plus d'essence). Il y eut plus
d'une centaine de voitures dans ce hangar jusqu'en fin 42. Le 23 août 1940,
le journal de bord de la base s'arrête. Il ne reprendra temporairement que
le 8 février 1941 ; la Commission Italienne d'Armistice (C.I.A.)
arrive ce jour-là. Beaucoup de monde a déjà quitté la BAN. L'école des
Pupilles qui se trouvait à Villeneuve, près de Brest, a quitté la zone occupée
et arrive à Saint-Mandrier sous la direction du CV Guillermit et du LV
Rouméas, avec ses professeurs civils et son aumônier. La Carraque se transforme
en dortoir de collège pour les 160 pupilles. On aménage des salles de classe
dans les appentis aujourd'hui occupés par la 33F. Des lingères s'occupent
du trousseau des pupilles et plient leur linge dans l'atelier à parachutes.
Tout ce qui touche au matériel est maintenant supervisé par la CIA
sous la direction du Général de Division Aérienne Guido Tacchini, qui préside
la délégation aéronautique italienne de contrôle pour la Provence (55, Bd
Rodocanacchi à Marseille). Cette commission n'est pas trop regardante, certainement
moins que la commission allemande qui contrôle discrètement ce que font ses
alliés italiens. Tout mouvement de matériel est lié à l'accord préalable de
la CIA. La note italienne n° 4510 du 3 novembre 1940 n'autorise l'emploi que
de la base de Berre pour l'aviation embarquée. Saint-Mandrier est, en principe,
réduite au rang d'une base gardiennée. Cependant, une certaine activité
aéronautique est maintenue sur la base, car la mise en gardiennage a été
retardée du fait de la présence de… 2 ballons captifs encore en service
(note 1409 du 3.2.41). Cinq ballons captifs d'observation existaient à Saint-Mandrier
: 2 ont été perdus au cours des opérations de dragage, un autre, déchiré,
a dû être condamné. Ces 2 ballons sont destinés, l'un à terminer les opérations
de dragage dans le golfe de Fos, le deuxième, à la vérification des filets
explosifs d'Hyères et à la surveillance des champs de lancements de torpilles
aux Salins d'Hyères. 10 autres ballons, stockés à Cuers, seront entreposés
à Saint-Mandrier en avril. Ce sursis permettra d'effectuer des vols locaux
techniques sur les hydravions des croiseurs. Il va de soi que tous ces vols
sont demandés au préalable à la CIA, et toujours accordés. Cela permet un
minimum d'entretien des hydravions mouillés sur coffre près du Lazaret et
de pouvoir maintenir le droit à la solde aéronautique du personnel affecté
en 3e région.
Depuis
22 avril, lecapitaine
de corvette Maurice Meaux (aérostier) commande la base. Il la dirigera
jusqu'au 26 mars 1942, commandant sans beaucoup d'hommes, aidé de quatre officiers
: LV Tellier, IM1 Milot, O2E Beziaud. On s'organise pour vivre, car la vie
n'est pas facile et l'hiver apporte la disette. Le 1er janvier 1941, il
n'y a plus de commandant : ce titre choquait les forces d'occupation :
le CC Meaux devient "directeur" de la base qui porte désormais le nom de B.A.N.D.
Saint-Mandrier (D pour désarmée). La commission italienne revient sur
la base visiter les soutes le 26 août 1941. A cette époque, le contrôle
allemand s'arroge beaucoup de prérogatives italiennes, ce qui n'arrange pas
les activités de la Marine à Toulon. Au début de 1942, la "relance" de Saint-Mandrier,
fait l'objet de tractations avec la CIA. Extrait de la lettre n° 158 FMF/SECA
du 29.1.42-Vichy- de l'Amiral Darlan à l'Amiral présidant la délégation française
auprès de la commission italienne d'Armistice, à Turin. "…Il me paraît
donc nécessaire d'obtenir l'accord de la CIA pour rendre, au moins en partie,
la base de Saint-Mandrier à son utilisation première. Nos appareils embarqués
séjourneraient dans cette base de façon à parfaire leur entraînement et à
subir les visites d'entretien réglementaires, ainsi que les réparations dont
les bords ne peuvent se charger… " Les propositions sont acceptées, et
après entente locale avec les autorités italiennes, toutes les servitudes
assurées jusqu'à présent par la BAN de Berre et par le Mourillon sont transférées
à Saint-Mandrier, ainsi que les rechanges aéronautiques de Berre. Seuls
les vols techniques restent autorisés. En mai, le contre amiral Latham,
chef du Sc/Aéro vient sur la base, commandée depuis le 26 mars 1942 par lecapitaine
de frégate Henri Gizard.
Juillet 42 : Mers-el-Kébir... Seul le Strasbourg et quelques contre-torpilleurs
ont pu échapper au guet-apens de Mers-el-Kébir. Ils rallient Toulon et toute
la base de Saint-Mandrier, au grand complet, se trouve assemblée sur le terre-plein
et acclame les bâtiments rescapés entrant dans la rade. La grande majorité
des marins est pleine de ressentiments à l'égard des anglais… 27 Novembre
1942, les blindés allemands forcent les portes de l'arsenal à 5 heures
du matin : en même temps, les explosions se succèdent dans le port : la flotte
se détruit et coule. Les événements, à Saint-Mandrier, sont ainsi relatés
par le contre amiral Milot :
27
Novembre 1942- 20 février 1944
" Bientôt des pas précipités dans les couloirs : les Allemands sont là
! (Ils sont passés par la porte Est, venant d'occuper les batteries de Cépet
qui ont été dynamitées). Effectivement la base est occupée par des chars
SS. En rassemblant les hommes sur le terre-plein, les officiers, séparés,
sont réunis dans une pièce du bâtiment de commandement, et nous voyons pour
la première fois des soldats allemands, vêtus de noir, et armés jusqu'aux
dents. Et nous étions au revolver Mle q2 … Ici, un incident qui aurait
pu être tragique : de la Mitre, les mitrailleuses françaises 13,2 nous
tirent dessus, ne distinguant pas dans la nuit les amis des ennemis. Tout
le monde à plat ventre pendant que l' OE Beziaud combat un début d'incendie
dans le hangar à ballons. Les Allemands sont furieux en voyant l'escadre se
saborder. Ils nous insultent et on entend souvent …Darlan…Pétain… On nous
embarque dans des camions et nous nous retrouvons au fort Napoléon. Le jour
se lève sur une vision d'apocalypse. Explosions, incendies, épaisse fumée
noire qui couvre la rade et la ville, et cela durera plusieurs jours. Nous
ne savons pas quel sera notre sort. Dans le fort, il n'y a ni lumière, ni
couchage, ni ravitaillement. Au bout de deux jours nous revenons à Saint-Mandrier
pour découvrir la base pillée. Les choses peu à peu s'organisent et on met
en place des équipes de gardiennage dans tous les établissements de le Marine.
Nous sommes installés sur l'Océan (près du GEM) car il n'était pas
possible de rentrer à la base avec tout le personnel pour effectuer la mise
en congé d'Armistice. L'Océan était l'ancien cuirassé Jean-Bart de la série
Paris, Bretagne, Lorraine, Courbet. Il était amarré devant l'école des mécaniciens
et servait de caserne. Je suis nommé directeur de la BAN Désarmée de Saint-Mandrier,
chargé de l'administration. le personnel ouvrier est maintenu, ainsi qu'un
effectif réduit. Nous quittons l'uniforme pour la célèbre tenue Corozo qui
devait son nom au remplacement des boutons d'uniforme par des boutons en corozo.
J'ai comme adjoint l'OE Beziaud. Nous reprenons pied dans la base et commençons
à remettre de l'ordre. Les Allemands partent et les Italiens les remplacent.
Nous voyons arriver l'infanterie alpine. Quel contraste ! Après les SS,
troupes d'élite, officiers pleins de morgue, voici les Italiens, minables,
arrivant à pied de Savone dans un état lamentable : mal vêtus, mal équipés,
affamés, épuisés. Pourparlers avec le colonel à qui je fais remarquer que
leurs chers alliés ont emporté vivres et couvertures et ont même jeté à la
mer le ravitaillement dont ils ne voulaient plus pour ne pas le leur laisser
! Les soldats italiens volent tout ce qu'ils peuvent trouver. On les
surprend à découper un ballon pour récupérer le caoutchouc et je me plains
au colonel de leur comportement. Quelques semaines se passent : changement
d'occupant. L'armée de l'air italienne s'installe à la base. Peu à peu arrivent
des appareils à coque, semblables à nos CAMS, à faible rayon d'action, et,
ensuite, des bimoteurs d'exploration sur flotteurs. Bien entendu, il n'était
pas question d'effectuer le moindre travail pour les occupants, ce qui n'allait
pas sans quelques difficultés. Nous ne couchions pas à la base et faisions
chaque jour le trajet entre Toulon et Saint-Mandrier. La 171e section de l'armée
de l'air italienne s'est installée sur la base avec 6 CANT Z 506 B, hydravions
bimoteurs remarquables, destinés initialement au bombardement et utilisés,
en fait, dans un rôle plus pacifique, celui du sauvetage. Sa devise, latine
bien sûr, est Amor addidit".
"Comme il est d'usage dans l'armée de l'air italienne dès qu'elle
est maritime, quelques officiers de marine font partie de l'Etat-major, généralement
en tant que navigateurs. C'est ainsi qu'il y eut à Saint-Mandrier quelques
marins italiens. Les pupilles ont quitté la base un peu avant les événements
de novembre. Ils se sont repliés dans les terres. A la mi-février 1943, les
Allemands recherchent du personnel dans les unités et les bases désarmées.
Le matériel est maintenu en bon état, mais la production pour l'occupant
reste quasi nulle. Le personnel civil prend ses repas dans un restaurant
coopératif au Lazaret, sous contrôle des autorités italiennes ; les ex-officiers,
ex-maîtres, ex-matelots ne peuvent rester sur la base ni pendant les repas,
ni après les heures de travail. Ils continuent de faire tous les jours (sauf
4 qui habitent Saint-Mandrier), le trajet Toulon-base, et trouvent leur popote
dans le seul restaurant du village qui consente à les prendre en pension pour
25F par repas et 2F le petit-déjeûner. L'hôtel du Creux Saint-George, une
fois de plus… Ils reçoivent des indemnités de vivres pour isolés. Cette poignée
d'hommes a pour noms : IM1 Milot (directeur), O1E Beziaud (directeur-adjoint),
M/pal arrimeur Cann, P/Mtre Fourrier le Fouest, P/M mécanicien aéro Gaillard,
Mtre observateur Kerboriou, Mtre mécanicien volant Chassaguard, SM1 fourrier
Deredec, SM2 observateur Le Bris, QM1 arrimeur Bothua, QM1 fourrier Montbarron.
L'été 43 est chaud. Certains italiens utilisent le réservoir d'eau potable
de la base (sous la Croix des Signaux) comme piscine ! et, un matin,
épidémie de dysenterie, colique quasi-générale. C'est à cette occasion
que le médecin découvrit l'usage qui était fait de la citerne dont tout le
monde buvait l'eau. leur moral, en dehors de ce fait, n'est pas excellent.
Les événements qui se passent chez eux n'y incitent guère. Le colonel confie
même au directeur Milot que tous ses officiers sont partis au cinéma alors
qu'ils étaient en alerte… En mai 43, les défaites des troupes de l'Axe
en Tunisie, la libération de l'AFN qui devient une base de départ alliée,
le débarquement de Sicile commencé le 10 juillet, la destitution de Mussolini
le 24 juillet 43, précèdent la demande d'Armistice italienne du 3 septembre.
Avant cette date, de nuit, les Allemands ont envahi à nouveau la base.
Tous les Italiens sont faits prisonniers, sauf ceux qui ont pu s'enfuir avec
les hydravions. Nouveaux "propriétaires " et nouvelles difficultés. La plupart
des soldats allemands venus précipitamment à Saint-Mandrier sont "au repos
" après un séjour peu plaisant en Russie. Il est difficile de les faire parler
mais on les sent démoralisés. Le 24 novembre 1943, après un préavis
de 8 jours, tout le village de Saint-Mandrier est évacué sur ordre des allemands.
L'hôtel du Creux Saint-George doit fermer, et l'équipage de la base cuit sa
soupe à la centrale électrique avec la tolérance allemande. Le village semble
mort, sillonné seulement de patrouilles. Le même sort attend la BAND. Cette
base a été reprise par la Luftwaffe depuis le 1er janvier 1944 et que la présence
de l'équipe française est désormais superflue".
20
février 1944
"La base est totalement dissoute. Tout le monde fut
muté à l'arsenal et je me retrouvais avec quelques marins seulement. Mes relations
avec les occupants devenaient de plus en plus tendues et je sentais que
nous devenions indésirables. Toute la presqu'île est maintenant vide,
le village, comme les installations militaires. Les Allemands continuent à
remettre les pièces de 340 de Cépet en état".
15
août 1944
"Les alliés débarquent au Cap Nègre. Les forces allemandes
du littoral s'enferment dans les zones fortes de Toulon-Saint-Mandrier et
de Marseille. Sous les ordres de l'amiral Ruhfus ils feront leur reddition
le 27 Août. Mais, pour réduire au silence les batteries de Cépet devenues
allemandes, il aura fallu plusieurs jours de tirs des bâtiments alliés. Paradoxalement,
les dégâts subis par la presqu'île, et la base en particulier ne sont dus
ni aux allemands ni aux italiens. Avant leur reddition, les occupants préparent
la destruction totale de la base, et posent des explosifs un peu partout.
La mise à feu est branchée sur le circuit électrique de la BAN. Une "malencontreuse
" panne générale dans la région empêche l'holocauste final".